Consentement : une affaire d’équipe
Publié le 2025-04-11
À titre d’étudiant à la maîtrise en santé mentale, une grande partie de mon temps est occupée par la lecture d’articles scientifiques. Dans le cadre d’une réflexion universitaire, je me suis interrogé sur les fondements sur lesquels la partie médicale doit s’appuyer pour juger qu’un usager est apte ou inapte à consentir à des soins, notamment dans le contexte d’une ordonnance de traitement. Il va sans dire qu’une telle décision a des conséquences lourdes pour la personne concernée, tant sur le plan clinique qu'éthique.
Que dit la loi?
Selon le Code civil du Québec, article 16 :
Le consentement aux soins requis par l’état de santé d’une personne ne peut être donné que par un usager apte à le faire. Une personne est réputée apte si elle est capable de comprendre la nature et les conséquences du soin.
Cette définition, bien qu’essentielle, demeure générale et soulève plusieurs questions sur l’application concrète de l’évaluation de l’aptitude. Il est compréhensible qu’à l’époque où ces balises ont été établies, le système hospitalier fût dominé par une approche médicale paternaliste où la société plaçait le médecin sur un podium seulement de par son titre. Or, cette position n’a été que peu remise en question depuis. La réalité clinique d’aujourd’hui impose une remise en question de cette logique unidisciplinaire ou en silo.
Comment bien évaluer l’inaptitude?
L’administration forcée de médicaments soulève des enjeux majeurs quant aux fondements cliniques et juridiques qui justifient l’émission d’une ordonnance de traitement. L’un des critères centraux repose sur l’inaptitude de la personne à consentir aux soins requis par son état de santé. Or, cette notion, bien qu’encadrée par des balises légales, demeure difficile à évaluer de façon pleinement rigoureuse et uniforme.
Une étude marquante publiée dans American Family Physician a démontré que les médecins identifiaient correctement seulement 42 % des patients jugés inaptes selon une évaluation structurée (Barstow, Shahan & Roberts, 2018). Cette statistique souligne les limites des évaluations cliniques informelles et la subjectivité potentiellement associée au jugement médical isolé.
Cela soulève une question de fond : pourquoi l’évaluation de la capacité décisionnelle demeure-t-elle réservée exclusivement aux médecins? N’est-ce pas un filet de sécurité de ne pas laisser la décision à une seule personne? Ou encore, laisser cette décision dans une perspective strictement médicale?
Dans un contexte où les soins ont promeut le travail interprofessionnel et la notion « des bons intervenants aux bons endroits », il serait logique de promouvoir une évaluation collégiale impliquant d’autres professionnels formés à cet effet, tels que les infirmières, psychologues ou ergothérapeutes. Décloisonner les professions dans une optique d’améliorer la qualité des soins et l’accessibilité.
De plus, il est essentiel de reconnaître les biais qui peuvent influencer ces évaluations, en particulier lorsque le clinicien adopte une posture paternaliste d’une autre époque. Par exemple, la présence d’anosognosie (l’incapacité de reconnaître sa propre maladie), fréquemment interprétée comme signe d’inaptitude, devrait plutôt être analysée avec une nuance clinique (Jaunait, 2003).
Vers une approche contemporaine
Ce questionnement ouvre la porte à des approches cliniques plus modernes et centrées sur la personne, qui misent sur le respect de l'autodétermination et la valorisation des capacités individuelles. Parmi ces alternatives, on retrouve les approches motivationnelles, les modèles de rétablissement et les interventions axées sur la collaboration. Ces perspectives insistent sur le fait que la capacité à consentir ne se résume pas à un simple test cognitif ponctuel, mais s'inscrit plutôt dans une dynamique relationnelle et contextuelle.
Ainsi, plutôt que de se fonder uniquement sur une autorité médicale unidimensionnelle, l'évaluation du consentement gagne à être envisagée comme un processus évolutif, où divers professionnels de la santé apportent leur regard spécifique et complémentaire. Dans cette optique, le consentement devient véritablement « une affaire d'équipe », où l'objectif n'est pas seulement de trancher sur l'aptitude, mais de favoriser une participation active et significative de la personne dans les décisions qui la concernent.
Conclusion
Dans un monde où les soins de santé évoluent vers plus de complexité et d’humanité, plusieurs pistes se dégagent pour améliorer l’évaluation du consentement et de l’inaptitude. Les données probantes tendent à suggérer qu'une approche interdisciplinaire pourrait représenter une avenue plus rigoureuse, nuancée et adaptée aux réalités cliniques. Dans ce contexte, le rôle des infirmières – par leur regard global, leur accessibilité et leur compétence clinique – pourrait gagner à être davantage reconnu et valorisé. Cette approche, bien qu'encore en développement, mérite d'être explorée et soutenue par des pratiques basées sur les meilleures preuves disponibles.
Références
- Barstow, C., Shahan, B., & Roberts, M. (2018). Evaluating Medical Decision-Making Capacity in Practice. American Family Physician, 98(1), 40–46.
- Jaunait, A. (2003). L'inaptitude à consentir aux soins : une construction médicale et sociale. Santé mentale au Québec, 28(1), 115-132.
- Gouvernement du Québec. (2024). Code civil du Québec, article 16. LégisQuébec. https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/ccq-1991
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